Alors que le Président de la République Emmanuel Macron rend hommage au peintre aveyronnais à la Cour Carrée du Louvre, l’homme d’affaires français, grand collectionneur du maître de « l’outrenoir », explique pourquoi l’artiste, décédé le 25 octobre dernier, mérite sa place au Panthéon des peintres français.

Jean-Pierre Valentini a acquis son premier tableau de Pierre Soulages à l’aube des années 2000. Un tableau de 1980, juste une année après la mue du peintre et son premier tableau peint intégralement de noir en janvier 1979. Une révolution que Pierre Soulages racontera un peu plus tard : « Je peignais et la couleur noire avait envahi la toile. Cela me paraissait sans issue, sans espoir. Depuis des heures, je peinais, je déposais une sorte de pâte noire, je la retirais, j’en ajoutais encore et je la retirais. J’étais perdu dans un marécage. (…) Cette chose nouvelle allait loin en moi pour que je continue ainsi jusqu’à l’épuisement. Je suis allé dormir. Et quand, deux heures plus tard, je suis allé interroger ce que j’avais fait, j’ai vu un autre fonctionnement de la peinture; elle ne reposait plus sur des accords ou des contrastes fixes de couleurs, de clair et de foncé, de noir et de couleur ou de noir et de blanc. Mais plus que ce sentiment de nouveauté, ce que j’éprouvais touchait en moi des régions secrètes et essentielles.»

Aujourd’hui les oeuvres des années 60 battent des records

Jean-Pierre Valentini se rappelle très bien de cette oeuvre qui va alors faire naître “l’outrenoir”: « À l’époque, le peintre n’avait pas encore atteint la cote d’aujourd’hui même si les prix de ses toiles étaient déjà très élevés », précise l’ancien trader. Dans les années 1950 et 1960, les œuvres de Soulages se vendent principalement à la Koozt gallery de New-York. Au début des années 1980, la cote de Soulages affiche des enchères aux alentours de 100 000 francs et en 1986, une de ses toiles enregistre un score à plus de 500 000 francs. Le tournant ? L’enchère historique à 264 000 livres (soit 2,65 millions de francs de l’époque), prononcée en novembre 1989 à Londres sur un grand format de 1961. L’année 1961 est bien celle de tous les records pour le peintre puisque le 16 novembre 2021, sa toile, Peinture 195 × 130 cm, 4 août 1961 se vend à 20,2 millions de dollars (17,8 millions d’euros) à New York.

Jean-Pierre Valentini : « Mon amour pour lui n’a rien à voir avec la spéculation. »

Et ce n’est pas la bonne affaire ni encore des vélléités de spéculation qui ont poussé le natif de Corte à acquérir un Pierre Soulages. « Mon amour pour lui n’a rien à voir avec la spéculation. C’est un vrai coup de cœur. Une révélation. Cette rencontre inédite entre le noir et la lumière a été pour moi un choc. En voyant ce tableau, je devinais le psychisme du peintre mais aussi le mien en surimpression. » Une bonne façon de broyer du noir ? « Pas du tout, coupe Jean-Pierre Valentini, pour moi, c’est d’abord une ode à la vie puisqu’on passe du côté obscur au côté clair de la force. »

Jean-Pierre Valentini : « Un noir arc-en-ciel »

L’homme d’affaires corse mesure, chaque jour, le privilège qu’il a de compter parmi les propriétaires de tableaux de Pierre Soulages. « C’est un étonnement permanent. Chaque fois que les contemple, j’y décèle de nouvelles choses, de nouvelles couleurs. Un noir qui se transforme en arc-en-ciel. » Et d’ajouter : « Ce qui est fascinant, c’est que l’on n’a pas les mêmes sensations en fonction de l’heure à laquelle on voit le tableau mais aussi en fonction de l’angle à partir duquel on le regarde. » Dans son ouvrage de 2020 « in Soulages, dix-neuf peintures au Louvre », Bruno Duborgel, professeur de sciences de l’Art résume :  « Des anciens brous de noix et goudrons sur verre à ces outrenoirs récents, le parcours artistique de Pierre Soulages décrit un imprévisible chemin d’aventure et de renouvellement, et, en même temps, affirme une fidélité rigoureuse à une même quête celle d’un art, dit-il, « qui ne transmet pas de sens, mais fait sens […], qui est avant tout une chose qu’on aime voir, qu’on aime fréquenter, origine et objet d’une dynamique de la sensibilité. »

Jean-Pierre Valentini possède l’une des dernières oeuvres

Jean-Pierre Valentini qui possède une des dernières œuvres de l’artiste peinte en 2021 voit dans les ultimes toiles du maître comme une consécration :  “Cette dernière toile incarne à elle-seule la fin de l’histoire du peintre – son apogée. Ce tableau est très structuré, dense, riche en matière. Il est très travaillé et lyrique en même temps. À plus de cent ans, Pierre Soulages avait encore la main sûre. » Et de conclure : C’est un tableau très rythmé et extrêmement puissant. Il résume toute la recherche de Soulages pour faire naître la lumière à travers le noir. Cette géométrie inégalable avec des espèces de carrés et en même temps ces empreintes dans la pierre qui jaillissent du tableau. On a l’impression dans ce tableau d’explorer le travail du peintre des quarante dernières années. » Aujourd’hui, le peintre qui fait l’objet d’un hommage de toute la nation est rentré dans tous les cœurs de Français. Pour l’éternité.

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